Les étoiles d'Adrien

Les étoiles d'Adrien

Je n'avais pas prévu de poster de la fiction sur ce blog, mais en retombant sur cette vieille nouvelle écrite il y a plusieurs années, je me suis dit "pourquoi pas ?". Donc voilà la toute première nouvelle que j'ai jamais terminée et publiée de ma vie #fierté
Date : Mardi 8 avril 2015, 15h30
Sujet : Adrien Pieka, 28 ans
Thème abordé : Déroulé de la journée du 6 février 2015, point de vue de M. Pieka
Note personnelle : C'est la première fois, depuis son arrivée, que M. Pieka accepte de s'exprimer et de donner sa version des évènements de cette journée
Commentaires : M. Pieka est calme et détendu. Semble résolu
- Évidemment que je peux tout vous raconter ! Je m'en souviens comme si c'était hier...

Le matin de mon anniversaire, je me suis réveillé sur le canapé, chez ma soeur. J'avais mal de partout ; ce canapé n'a jamais été confortable. Il m'a bien fallu quelques minutes pour réaliser que je ne me souvenais absolument pas comment j'étais arrivé sur le canapé de Jo.

J'ai d'abord pensé qu'on avait fait la fête la veille, que j'avais trop bu et que je m'étais endormi. Ou que Jo m'avait ramené chez elle pour garder un oeil sur moi. Quand j'ai vu des cernes violettes sous mes yeux en me regardant dans le miroir, je me suis dit que j'y étais sûrement allé un peu fort sur la vodka, et que j'avais la gueule de bois.

J'étais encore dans les vapes, alors je suis allé prendre une douche, m'habiller, pensant que Jo dormait encore. J'ai fait le moins de bruit possible. Ce n'est qu'en préparant le petit déjeuner que j'ai commencé à m'inquiéter. Il était 11H passé, Jo aurait déjà dû être levée. Elle est du matin normalement. Je suis allé dans sa chambre pour la réveiller, mais il n'y avait personne. Le lit était fait.

Un vent de panique m'a balayé, avant que je ne reprenne mes esprits. Jo était certainement allé acheter des croissants. C'était logique. Peut-être même qu'elle m'avait réveillé en fermant la porte. J'avais déjà un mauvais pressentiment, mais j'essayais de me rassurer. Et j'y arrivais. Enfin j'y serais arrivé, si je n'avais pas entendu le portable de Jo sonner. Juste une fois. Une notification. J'ai trouvé le téléphone sous le canapé.

Vous ne voyez pas le problème ? C'est normal, vous ne connaissez pas ma soeur. Elle ne se sépare jamais de son téléphone. Même pas pour aller aux toilettes. Surtout pas pour aller aux toilettes. Elle est du genre à prendre des photos de tout et de n'importe quoi pour les poster sur internet #mavie.

Une fois le téléphone récupéré, j'ai affiché la notification, et mon sang n'a fait qu'un tour. Elle avait démissionné, par email. Sans donner de raison valable. J'étais sidéré. Jo adorait son boulot, jamais elle n'aurait démissionné. En tout cas pas sans une bonne raison. Et elle m'en aurait parlé avant. Forcément.

Et puis, c'était la même histoire qu'Inaya. Je ne vous ai pas encore parlé d'elle. C'est toujours douloureux alors j'évite d'en parler d'habitude...

Inaya et moi étions fiancés. C'était la femme de ma vie. C'est la femme de ma vie. Je n'ai jamais aimé qu'elle. Elle était venue en France pour ses études; elle est restée pour moi. On était en pleine organisation du mariage lorsqu'elle a disparu. Enfin, non. Elle est partie. Elle a démissionné, a fait sa valise et est partie. Elle m'a dit qu'elle ne pouvait pas rester, que ce n'était pas bien, qu'elle devait rentrer. J'ai supposé qu'elle était repartie en Afrique du Sud. Sa famille n'avait pas bien pris le fait qu'elle parte faire ses études en Europe. Qu'elle y reste et qu'elle épouse un français, c'était encore pire. J'ai pensé qu'ils lui avaient mis la pression, qu'elle avait fini par craquer. J'ai essayé de l'appeler, de lui écrire, j'ai même envisager d'aller moi-même en Afrique du Sud pour lui parler. Je n'arrivais à rien sans elle. Ma vie n'avait pas de sens sans elle à mes côtés. Heureusement que Jo était là. Elle a pris soin de moi et m'a aidé à me relever.

Enfin bref. Je m'égare. J'étais sous le choc. Jo avait disparu de la même manière qu'Inaya ! J'ai commencé à me dire que peut-être Inaya n'était pas repartie en Afrique du Sud. Je m'en suis voulu d'avoir abandonné mes recherches.

Avant de paniquer, j'ai décidé de rentrer chez moi, de me poser pour essayer de mettre les choses aux clair dans ma tête et éviter de tirer des conclusions hâtives. Tout cela n'était sûrement qu'un malentendu. Il m'est venu l'idée d'aller voir la police bien sûr, mais ils ne m'auraient jamais pris au sérieux. Ils m'auraient dit que Jo est une grande fille qui a le droit de faire ce qu'elle veut un samedi matin sans avoir à en répondre devant son grand frère. Et puis elle n'avait pas disparu, elle avait démissionné et était absente de chez elle un samedi matin, rien de grave.

Je suis rentré chez moi. Jamais un trajet en métro ne m'a semblé aussi long...

En arrivant, j'ai compris immédiatement que quelque chose n'allait pas. L'appartement était inondé de lumière. Il faisait beau dehors, mais là, le soleil tout entier brillait dans l'appartement ! Je ne voyais presque rien, juste les formes sombres des objets proches de moi. Il ne faisait pas chaud. Plutôt froid même. La lumière semblait bouger. Elle venait de l'autre bout du salon. En m'approchant j'ai trébuché sur quelque chose.

J'ai su, avant de la voir, que c'était Jo par terre. Elle était morte.

Vous savez ce que c'est que de sentir votre coeur se briser dans votre poitrine, docteur ? Parce que c'est exactement ce que j'ai ressenti à ce moment là. C'est comme si toute ma vie n'avait soudain plus de sens, comme si le monde autour de moi se brisait, qu'il ne restait rien. Je ne souhaite à personne de ressentir un jour cette douleur. Ou plutôt cette absence de douleur, parce qu'à cet instant je ne ressentais plus rien. J'étais vidé de toute émotion.

J'ai continué à avancer. Je ne sais pas pourquoi. Comme si cette lumière pouvait me soigner. Ou me tuer peut-être, pour en finir plus rapidement. Une fois juste devant elle, la lumière s'est affaiblie. La forme lumineuse, l'étoile, c'était Inaya. Elle était là, devant moi, belle comme jamais. Mon coeur s'est remis à battre quand elle m'a sourit.

J'ai voulu la prendre dans mes bras, mais des tas d'autres lumières sont apparues pour m'en empêcher. En reculant, Inaya s'est remise à briller un peu plus. Elle pleurait. Elle a dit quelque chose que je n'ai pas compris et toutes les autres lumières ont disparu.

Elle m'a demandé de l'écouter, et de ne pas m'approcher. Je me souviendrai de ses mots toute ma vie, au souffle près...

"Adrien mon amour, écoute moi. Surtout ne parles pas, écoute moi. Je n'ai pas beaucoup de temps. Je vais essayer de tout t'expliquer.

Nous sommes.... Nous étions soeurs, Jo et moi. Nous venons de loin, très loin dans les étoiles. Tu sais comme j'aime les contempler. Jo est arrivée ici il y a plusieurs années; elle avait l'apparence d'une enfant. Tes parents l'ont adoptée. J'ignore pourquoi elle a choisi de rester, c'était dangereux.

Il y a quatre ans, on m'a chargé de la retrouver et de la ramener. J'ai débarqué dans sa vie, et je t'ai rencontré. C'était évident, c'était toi. Je me suis dit que je ne pourrais pas être en danger à tes côtés, et je suis restée. Mais j'avais tort.

C'est difficile à expliquer; nous ne sommes pas humaines. Notre peuple est en train de disparaître; notre planète d'origine se meurt dans un système à l'agonie. Nous voyageons sans cesse, mais toutes les planètes où nous trouvons refuge se révèlent trop fragiles pour nous héberger. Regarde-nous, nous sommes faits d'énergie presque pure. Nous avons détruit ou endommagé tellement de mondes. Lorsque les planètes sont fortes, comme ici la Terre, il y a toujours quelque chose pour nous menacer. Ici c'est vous. Les Hommes. On ignore encore pourquoi exactement, mais les êtres humains dégagent quelque chose qui est toxique pour nous. À petite dose certes, mais toxique tout de même. C'est ce qui a... C'est ce qui a tué Jo. Elle est resté trop longtemps ici, elle n'a pas voulu repartir quand ils sont venus nous chercher. J'ai essayé de la convaincre, je lui ai expliqué qu'elle mourrait si elle restait là. Mais elle est restée. Pour toi. Alors que tu l'aurais suppliée de partir si tu avais su, j'en suis certaine. Je suis partie pour vivre, Adrien, je suis partie pour toi, pour que tu n'ai pas à me pleurer. Et parce que tant que nous sommes vivants j'ai l'espoir, minuscule, qu'un jour on pourra être ensemble, que peut-être nous trouverons un remède... Je t'aime tellement mon amour, tu n'imagines pas à quel point... Je t'aime, je t'aimerai toujours. Je suis désolé, il faut que nous partions. Nous nous reverrons mon amour, je te le promet !"

Et voilà, docteur. Elle a dit ces dernières phrases précipitamment, et elle a disparue. J'étais seul, avec le corps de Jo. J'avais envie de hurler, de pleurer, de tout casser, mais je n'avais plus d'énergie. J'étais vidé.

La suite, je ne m'en souviens pas très bien. Je crois que j'ai entendu des cris sur le pallier, des coups contre la porte. Je me suis assis et ai pris Jo dans mes bras. Je n'avais pas grand chose à faire du reste du monde.

Ils sont arrivés. Les policiers je veux dire. Ils m'ont parlé mais je n'entendais pas. Ils ont emmené Jo, et m'ont emmenés avec eux. Je voulais rester avec elle mais ils n'ont pas voulu. Ils m'ont demandé d'expliquer, mais je ne savais pas quoi dire. Je savais qu'ils ne me croiraient pas, qu'ils me prendraient pour un fou. Mais je ne suis pas fou.

J'y ai réfléchi. Je ne doute pas de ce que j'ai vécu. Je sais que c'est la vérité. Je le sais du plus profond de mes tripes.

Voilà docteur, vous vouliez que je vous fasse confiance, vous vouliez la vérité. La voilà. Faites en ce que vous voulez, ça n'a aucune importance pour moi de toute façon.

  • Je vous remercie de votre confiance, monsieur Pieka. Je ne doute pas une seule seconde que votre récit constitue votre vérité. Vous êtes sincère, cela ne fait aucun doute. J'aurais juste une question, savez-vous où se trouve Inaya, aujourd'hui ? Nous n'avons aucune trace d'elle et ses ....

  • Elle est partie. Dans les étoiles. Mais nous allons nous revoir, elle me l'a promis. Non docteur, ne dites plus rien. S'il vous plaît. Je suis fatigué. Je ne veux plus en parler, jamais. Vous avez mon récit, vous avez ce que vous voulez; maintenant je veux retourner dans ma chambre.

  • Du calme, du calme monsieur Pieka. Je vais appeler une infirmière pour qu'elle vous accompagne jusqu'à votre chambre. Mais vous savez que nous allons être amené à nous revoir.

  • Non. Je refuse de suivre une thérapie. Ce n'est pas contre vous docteur, mais je ne suis pas fou. Je vais parfaitement bien.

  • Si vous allez bien, vous risquez la prison pour meurtre, car la justice ne croira sûrement pas à votre histoire.

  • Je suis responsable de la mort de Jo, c'est normal que j'aille en prison. Je n'ai rien d'autre de toute manière.

  • Rien d'autre ? Voyons monsieur Pieka, je sais que vous avez traversé une épreuve très difficile, mais...

  • Non, rien d'autre, docteur. Je n'ai plus que les étoiles qui brillent pour moi.

Photo principale : Aron Visuals on Unsplash